STEP: intriguant, l’évacuation camouflée

Afin d’éliminer les micropolluants nocifs pour les poissons et le vivant, La Chaux-de-Fonds s’est équipé d’une nouvelle unité de dépollution. Tour des tuyaux de la STEP.

Entourée de forêt, une petite route bucolique, entretenue à l’aide de machines bruyantes, mène de la carrière Brechbühler de la Joux Perret à la station d’épuration des eaux communale (STEP), dans la Combe des Moulins. Installée là depuis 1975, cette installation utile avait une capacité de traitement de 550 l/s.

En cas d’orage, les eaux usées débordaient et toute la merde (les nôtres et celles laissées sur la rue) passait dans un bassin des eaux déversée (abrégé TED) pour une décantation et un dégrillage partiel jusqu’à 2m3/s. Ce bassin d’une capacité maximale de 2’000m3 , était rempli en 20 minutes en cas de forte pluie. Le solde, jusqu’à 8m3/s passait tout droit à la Ronde. À quoi cela ressemble après un épisode pluvieux? Demandez aux bénévoles ou aux employés des travaux publics qui ont nettoyé cette combe aux odeurs prenantes.

Le problème des débordements de la STEP revient souvent, témoin le récit d’ArcInfo suite à l’orage du 21 juillet 2016.

Déchets de dégrillage

Pour y remédier, la commune a décidé d’améliorer la capacité de dégrillage, en achetant des râteaux géants automatiques (dégrilleurs). Ils raclent verticalement les gros déchets arrivants dans le TED à grand renfort d’électricité (moteurs Bauer de 5,5 kW, on carbure là au 400 volts à 11 ampère) ainsi que de deux dégrilleurs fins horizontaux. Avec ces deux nouvelles installations, la capacité passe de 2 à 8 m3/s et ainsi le 95 % des déchets solides qui passaient sans traitement à la Ronde sont retenus. en outre la Ville s’est  s’attaquée au problème des micropolluants (voir schéma p.12), avec un  système efficace de bassins filtrants au charbon actif. Nous y reviendrons plus loin.

L’ingénieur Gian Franco Maule explique

Valoriser les forêts de la Ronde

Avant de pénétrer dans les deux nouveaux bâtiments de la STEP, j’ai croisé Mme Delphine Conus-Bilat, qui garait son vélo électrique. Elle est responsable de l’Antenne romande de Forêts de montagne qui organise des ateliers en plein air. Pleine d’enthousiasme, elle va prochainement gérer des activités sylvicoles pour ados dans les bois de la vallée de la Ronde.
En collaboration avec la coopérative Monsilva, elle travaille à valoriser la forêt et la faire apprécier. Ainsi des bénévoles contribueront à l’entretien des quelques 300 hectares gérés par cette coopérative aux alentours de la STEP.

Un tableau électrique parmi tant d’autres

Habitant La Tchaux, Delphine Conus-Bilat venait découvrir les lieux et nouer des contacts toujours utiles avec ses futurs «voisins», riverains du même cours d’eau. Elle résume l’esprit de ces ateliers ainsi: «expérimenter la vie en extérieur au contact de la nature et réaliser collectivement un travail utile et qui a du sens.»

Avec son entregent, elle saura motiver des jeunes à mieux préserver futaies et sous-bois. Revenons à la STEP.

Bassins de traitement des micropolluants

Micropolluants tenaces

Des antibiotiques aux désinfectants en passant par les dérivés hormonaux pour la contraception, notre civilisation médicalisée produit des quantités importantes de micropolluants. Outre les résidus thérapeutiques, des microplastiques présents dans les cosmétiques, des pesticides, des fongicides forment un potion peu goûtées des organismes vivants, à commencer par ceux qui sont au sommet de la chaîne alimentaire, comme les gros poissons carnivores. Même en très petites quantités, ils polluent rivières, sources et nappes phréatiques.

Sous le silo de charbon actif

Intervenir à la source?

Les médicaments ne peuvent guère être supprimés à la source. Par contre certains cosmétiques pourraient disparaître des rayons de la grande distribution pour le plus grand bien des poissons et amphibiens. Musique d’avenir.

Pour fixer ces produits indésirables, un jeu complexe de pompes, de bassins filtrants assortis d’un grand silo à charbon actif en poudre permet de réduire de 80% la sélection des micropolluants à éliminer définis dans la législation fédérale, se trouvant dans les eaux usées en sortie de STEP (la capacité globale étant de 550 l/seconde», explique une notice à l’entré du bâtiment.

Une des nombreuses vannes

Du charbon actif en masse

L’imposant silo contient 30 tonnes de charbon actif en poudre (CAP), soit 100 m3 garantissant une autonomie de six mois, à raison de 10 grammes par m3 d’eau traitée. Une fois qu’il a absorbé les matières indésirables, ce charbon passe sur des filtres bicouches (sable et sable/ charbon granulaire – anthracite) en passant dans des bassins filtrants.

Il faut périodiquement nettoyer ces couches, en y injectant de l’air et de l’eau industrielle, un procédé de rétro-lavage qui implique à nouveau, vannes, pompes et tuyaux en nombre. Cette eau chargée de CAP saturé s’écoule vers les bassins de traitement biologique et les bassins de décantation finale où le CAP est mélangé aux boues pour en faire du gaz.

Sous les bassins de traitement

Notons qu’il y fallu onze ans de discussions et débats politiques avant que cette unité de dépollution moderne voit le jour.

Histoire des eaux souterraines

Comme il se doit lors d’une inauguration, les bailleurs de fonds (canton et Confédération, qui ont financé les travaux, Berne à 75% et le canton à 15%) étaient présents pour fêter l’évènement.

Deux politiciens en discussion: Laurent Favre et Théo Huguenin-Elie

Discours de circonstance et bons mots n’ont pas manqué à l’appel. Une intervention mérite que l’on s’y attarde: Sylvie Pipoz, historienne et médiatrice au service de la Ville, a dressé un tableau passionnant des canalisations, emposieux et autres déversoirs utilisés depuis 150 ans par la Ville pour évacuer caca, pipi et autres liquides pestilentiels. Présentant «le côté évacuation camouflée des eaux peu engageantes», on a appris qu’il y a sous nos pieds 144 km de canalisations dans la commune.

Solution éphémère

Aux alentours de 1860, ces eaux étaient déversées dans deux emposieux qui finirent par se boucher. L’État avait bien averti la commune que ce phénomène allait se produire, les Chauxois ont foncé, les trous perdus ont été obstrués en six ans… Scrutant ce patrimoine invisible, Sylvie Pipoz a rappelé qu’à proximité des emposieux cités, Bikini Test était une scierie activée par la Ronde avant de servir de salle de concerts, et que la Ronde était considérée comme un ruisseau-égout.

Pompes et moteurs

Ceux qui bossent

Personne n’a parlé des employés, si ce n’est pour citer le chef Jacques Vidal parti à la retraite. Au fond de la combe des Moulins, ils sont cinq à œuvrer 7 jours sur 7, en tournus pour le service de piquet. «Si vous aimez les tuyaux, ici vous êtes servis», sourit Angelo Merola. L’électricien de Caserta travaille à la STEP depuis 23 ans. Il aime La Chaux-de-Fonds où il réside depuis 40 ans. Il a entamé sa carrière chez Voumard Machines après sa formation en Italie aux Ferrovie dello Stato, les chemins de fer étatiques de la péninsule.

Des tuyaux partout

Engagé ensuite chez Cattin Machines, il surveille désormais, avec ses collègues, l’ensemble des machines de la STEP depuis une centrale de gestion à distance.
«On travaille du lundi au vendredi», poursuit Angelo Merola. «Il y a ici un installateur sanitaire, un laborantin, un responsable administratif et un responsable technique». L’équipe est rôdée, l’entretien et la surveillance sont assurés, la Ronde est protégée pour autant que les installations le permettent.
Il rappelle au passage que l’hygiène est de mise à la STE. Les ouvriers changent systématiquement d’habits; ils se changent et se douchent dans un vestiaire dit sale et passent au vestiaire propre mettre leur tenue civile avant de rentrer à la maison.

Grâce à la vive pressions des pêcheurs

Un aspect n’a pas été abordé dans les allocations officielle, c’est en discutant avec le vice-président de la Fédération neuchâteloise des pêcheurs en rivière, Thierry Christen. Il souligne qu’au départ, «la législation suisse ne prévoyait pas de subventions fédérales pour contribuer à éliminer les micropolluants pour les régions karstiques comme chez nous. Grâce aux pressions exercés par les pêcheurs, Berne a modifié les critères de soutien. Ainsi, les agglomérations de la chaîne jurassienne peuvent désormais obtenir de l’argent pour équiper leurs STEP». Thiery Christen souligne que les pêcheurs sont très contents de cette nouvelle installation performante.

Tuyaux encore

Au retour, à quelques centaines de mètre de la STEP, on peut voir sur la droite un vaste bâtiment où l’entreprise Thommen Furler entrepose et neutralise les déchets dangereux de notre industrie horlogère.
La Combe des Moulins est vraiment le dépotoir communal des liquides polluants.

Instruments de surveillance